Dans le cadre de la poursuite du litige opposant la société META à l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), la Cour d’appel de Paris a partiellement confirmé dans un arrêt rendu le 21 décembre 2023, le jugement rendu par le Tribunal de Paris le 5 janvier 2023.

Pour rappel, suite à l’affichage de contenus promouvant des marques d’alcool par 19 influenceurs sur Instagram, l’ANPAA avait assigné META.

En première instance, le Tribunal de Paris avait condamné la société META à retirer 37 publications jugées illicites sur le réseau social Instagram en jugeant que « ces publicités litigieuses incitent à la consommation excessive d’alcool et contreviennent ainsi à l’objectif de santé publique de lutte contre l’alcoolisme ».

Le 21 décembre dernier, la Cour d’appel de Paris a confirmé partiellement le jugement de première  instance rendu par le Tribunal judiciaire de Paris et a ordonné à la société META de communiquer à l’ANPAA les données d’identification suivantes :

  • Les noms, prénoms ou la raison sociale des titulaires des comptes ;
  • Les pseudonymes utilisés ;
  • Les adresses de courrier électronique ou de comptes associés.

Si cette affaire médiatique a été initiée avant la promulgation de la loi sur les influenceurs, ce litige reflète l’idée selon laquelle l’activité commerciale sur internet doit être réglementée.

La loi n° 2023-451 sur les influenceurs du 9 juin 2023, qui est entrée en vigueur le 11 juin 2023 vient compléter le dispositif légal qui s’applique à l’activité commerciale sur internet.

Ce dispositif légal concerne aussi bien le Code de la consommation, notamment au travers des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses (L.121-4 et suivants), du Code du travail et des dispositions relatives au droit des mineurs, de la loi Evin qui règlemente la publicité relative à l’alcool, ou encore la Loi pour la confiance en l’économie numérique dite LCEN. C’est encore le cas du DSA, adopté en août 2023 qui vise à responsabiliser les plateformes contre la diffusion de contenus illicites.

La loi sur les influenceurs propose spécifiquement de réglementer l’activité de l’influence commerciale, qui n’était jusqu’alors pas encadrée et souffrait d’un vide juridique. Cette loi a en effet vu le jour après de nombreux scandales « des arnaques aux consommateurs » commis par des « influ-voleurs » comme les appelait le rappeur Booba.

Les professionnels du secteur se sont concertés pour proposer d’encadrer l’influence commerciale.

La loi du 9 juin 2023 propose notamment de :

  • Faire de l’influence un vrai métier et l’inscrire dans une activité commerciale ;
  • Réguler l’activité de l’influence commerciale ;
  • Protéger efficacement les consommateurs et lutter contre les arnaques et les dérives sur les réseaux sociaux.

Pour en comprendre son contenu et ses enjeux, voici un récapitulatif de ce qu’elle prévoit.

Il est également renvoyé au Guide de bonne conduite de Bercy qui vous permettra d’appréhender l’essentiel de vos droits et devoir. Vous pouvez retrouver ce guide via le lien suivant : https://www.economie.gouv.fr/files/files/2023/Guide_bonne_conduite_influenceurs_createurs_contenus.pdf?v=1703262476.

      I. A qui s’adresse la loi ?

        A. Application matérielle : L’influenceur

Toutes « Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voir électronique » (article 1 de ladite loi).

Cette définition mérite des précisions :

  • Le critère de la notoriété s’apprécie au cas par cas au regard du nombre d’abonnés de l’influenceur (une personne qui n’aurait que quelques abonnés ne serait pas qualifiée d’influenceur).
  • La loi ne concerne que les contenus communiqués au public par voie électronique au sens de l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 c’est-à-dire « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électroniques, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas de caractère d’une correspondance privée».  Les réseaux sociaux et les plateformes en ligne sont donc concernées. A l’inverse, une séance de dédicace, une prise de parole en public dans la rue, un message envoyé sur une messagerie privée ne caractérisent pas une communication au public par voir électronique.
  • Le contenu doit être promotionnel : Sont considérés comme promotionnels, les avis, retours d’expérience, les crash tests. Seul le contenu gratuit et visant à informer le public est exclu. De plus, la promotion peut être faite directement par l’influenceur ou par un tiers.
  • Le contenu peut viser des produits, des services ou une cause quelconque: la loi inclut l’ensemble des produits et des services mais également les causes, notamment les causes politiques, religieuses syndicales par exemple.
  • Le caractère onéreux : Il s’agit de toute contrepartie reçue par l’influenceur. En d’autres termes, dès que l’influenceur reçoit un avantage en contrepartie de la publication de son contenu, l’opération est réputée onéreuse. Selon le Guide de Bercy, constituent des avantages : les voyages, les invitations à des évènements, des partenariats, un pourcentage sur les ventes, des produits gratuits, etc.

B. Application territoriale

La loi s’applique à tous les influenceurs, quelle que soit leur localisation, dès lors qu’ils s’adressent à un public français.

  • Les influenceurs établis à Dubaï qui s’adressent à une communauté française doivent donc respecter la loi.

Certains d’entre eux sont soumis à des obligations supplémentaires. C’est le cas des influenceurs qui ne sont pas établis dans un Etat membre de l’Union Européenne,  de la Confédération Suisse ou de l’Espace économique européen et qui s’adressent à un public français sont soumis à des obligations.

Ces influenceurs doivent tout d’abord désigner un représentant légal (article 9, I de la loi) qui est chargé de garantir la conformité des contrats ayant pour objet ou pour effet la mise en œuvre d’une activité d’influence commerciale par voie électronique. Ces derniers devront communiquer sur demande aux autorités administratives qui leur en font la demande le nom, l’adresse postale, l’adresse email et le numéro de téléphone de leur représentant légal.

En contrepartie, ce représentant est tenu de répondre à toutes les demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes.

Au-delà de la désignation d’un représentant légal, l’influenceur qui possède une activité en dehors de l’Union Européenne, de la Confédération Suisse ou de l’Espace économique européen doit souscrire à une assurance auprès d’un assureur établi dans l’Union Européenne.

      II. La réglementation portant sur l’activité d’influence

A. L’obligation d’information de l’influenceur

Compte-tenu de l’influence et de la notoriété que peuvent avoir les influenceurs sur leur public, en particulier le jeune public, ils sont tenus à une obligation d’information.

Cette information passe tout d’abord par une indication claire, lisible et identifiable de la mention « Publicité » ou « Collaboration commerciale » pour toute promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque.

Le défaut de cette information constitue une pratique commerciale trompeuse par omission au sens de l’article L.121-3 du Code de la consommation, sanctionnée par 2 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende.

De plus, l’influenceur dont les communications portent sur l’inscription à une formation professionnelle devra également mentionner les conditions liées au financement, aux engagements et aux règles d’éligibilité, la nature du financement des formations et l’identité des organismes formateurs. En cas de non-respect de ces indications, l’influenceur s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement et jusqu’à 4500 € d’amende.

Ensuite, ce devoir d’information concerne également les publications comportant des images.

Dans ces cas précis, l’influenceur doit indiquer le caractère retouché des images qu’il publie par la mention « Images retouchées » lorsque le traitement de l’image a permis d’affiner ou d’épaissir la silhouette d’une personne ou à l’apparence de son visage. De la même manière, l’influenceur doit indiquer la mention « Images virtuelles » si ce dernier a utilisé des procédés d’intelligence artificielle visant à représenter un visage ou une silhouette.

Le défaut ce cette information est sanctionné par un an d’emprisonnement et par 4500 € d’amende.

En tout état de cause, ces mentions doivent être claires, lisibles et identifiables sous tout format et durant toute la durée de la promotion. La plupart des plateformes proposent une fonctionnalité pour permettre d’afficher le caractère publicitaire et commercial du contenu.

  • Il est donc recommandé aux influenceurs d’utiliser ces fonctionnalités.

Enfin, cette obligation d’information concerne l’activité de dropshipping (article 6 de la loi).

Pour rappel, le dropshipping, est une pratique qui permet au vendeur de commercialiser et de vendre un produit sans se charger de la livraison au consommateur final qui est assurée par le fournisseur du vendeur.

L’influenceur qui a une activité de dropshipping doit communiquer à l’acheteur toutes les informations précontractuelles d’un contrat de vente conclu à distance prévues à l’article L.221-5 du Code de la consommation, ainsi que l’identité du fournisseur, la confirmation de la disponibilité des produits et leur caractère licite et non contrefaisant.

L’influenceur sera responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat de vente sauf à démontrer que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur soit à un fait imprévisible et insurmontable d’un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure.

  • Au vu de la forte responsabilité qui pèse désormais sur l’influenceur, il est plus que probable que ce dernier abandonne la pratique du dropshipping.

B. L’encadrement de l’activité d’agent d’influenceur

Comme le souligne l’article 7 de la loi, « l’activité d’agent d’influenceur consiste à représenter à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique (…) avec des personnes physiques ou morales, et, le cas échéant, leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services, des pratiques ou une cause quelconque ».

L’agent d’influenceur se place entre l’influenceur et les autres intermédiaires.

 B.1. Le principe : un contrat écrit

Le contrat d’influence commerciale entre l’influenceur son agent ou l’annonceur doit en principe être écrit et comporter certaines mentions obligatoires notamment prévues à l’article 8 de la loi, à savoir :

  • L’identité des parties, les coordonnées postales et électroniques ainsi que leurs pays de résidence fiscale ;
  • La nature des missions confiées (ce qui est attendu en termes d’opérations d’influence commerciale, s’il créé du contenu original au profit de l’annonceur, si l’annonceur a le droit d’exploiter ce contenu et, si tel est le cas, quel est l’étendue de ce droit, son périmètre géographique, sa durée) ;
  • Sa rémunération et les modalités de sa détermination ;
  • Les droits et obligations des parties et notamment en ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle ou le droit à l’image ;
  • Le droit applicable (droit français) et les textes applicables (Code de la consommation, LCEN, DSA, etc).
  • Pour les contrats de promotion avec les opérateurs de jeux d’argent et de hasard, une clause particulière doit être insérée. Les influenceurs « attestent avoir pris connaissance des lois et des règlements applicables aux communications commerciales relatives aux jeux d’argent et de hasard et s’obligent à les respecter ».

B.2. L’exception

En revanche, l’écrit n’est pas obligatoire lorsque « la rémunération de l’activité d’influence commerciale par voie électronique concernée ou la valeur totale cumulée de l’avantage en nature concédé en échange de celle-ci est inférieure à un montant qui sera défini par décret ».

  • Dans la mesure où le montant n’est pas encore défini, il est conseillé de produire un écrit et de respecter les mentions obligatoires aux écrits.

C. L’interdiction de la promotion de certains produits et services

L’article 4 de la loi vise un certain nombre d’activités dont il est interdit d’assurer la promotion, à savoir :

  • Le tabac, la cigarette électronique et les produits de nicotine ;
  • Les actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique et les interventions de chirurgie esthétique ;
  • Les produits, actes, procédés, techniques et méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques.
  • Des services impliquant des animaux non domestiques ;
  • Les produits et services financiers, y compris les services sur actifs numériques ;
  • Les abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs ;

Le non-respect de cette interdiction est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende selon l’article 4 IX de la loi.

D. L’encadrement de certaines activités

La publicité de certains produits et services est déjà réglementée sur Internet. La loi sur les influenceurs vient simplement confirmer que ces réglementations s’appliquent à l’activité d’influence commerciale.

Ces activités concernent notamment :

  • Les jeux d’argent et de hasard: la communication des influenceurs relative aux jeux d’argent et de hasard est autorisée uniquement sur les plateformes en ligne restreignant leur accès aux personnes de moins de 18 ans. L’influenceur doit, durant toute la durée de la diffusion signaler l’interdiction aux moins de 18 ans de façon claire, lisible et identifiable.
  • La loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne dite loi Studer : Une autorisation ou un agrément préalable doit être obtenu auprès de l’Etat pour pouvoir diffuser l’image de son enfant. De la même manière, les parents sont soumis à une obligation financière. Les revenus perçus dépassant un certain seuil fixé par décret doivent être versés à la Caisse des dépôts et consignations et gérés par cette caisse jusqu’à la majorité de l’enfant ou jusqu’à la date de son émancipation. Il est également rappelé que cette loi prévoit un droit à l’effacement des données à caractère personnel du mineur. Ce dernier peut demander aux plateformes en ligne l’effacement des données personnelles le concernant sans avoir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale. Il doit être enfin rappelé que les plateformes sont tenues d’adopter des chartes visant à informer les utilisateurs et les mineurs de la réglementation applicable en matière de diffusion de l’image d’un mineur, de les sensibiliser aux conséquences psychologiques et juridiques d’une telle diffusion mais également d’améliorer la détection et favoriser le signalement de contenus qui pourraient porter atteinte à la dignité de l’enfant. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est charge de promouvoir l’adoption de ces chartes.

 III. Les risques encourus : la police des réseaux

Plusieurs autorités ou acteurs publics et privés jouent un rôle dans la surveillance des plateformes et des contenus publiés par les influenceurs, notamment la DGCCRF, l’AMF, l’ANJ ou encore des associations privées.

A. La DGCCRF

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) possède plusieurs compétences pour rechercher, constater les infractions et les manquements à la loi, notamment au regard du droit de la consommation.

A ce titre, la DGCCRF possède un pouvoir :

  • De surveillance ;
  • D’injonction de faire sous-astreinte (elle peut notamment demander aux plateformes d’afficher un message d’avertissement aux consommateurs ; de déréférencer un compte sur un réseau social ; ou de limiter l’accès ou le blocage d’un compte ou d’un réseau social ;
  • De publication de la sanction (politique du « name and shame »).

B. L’Autorité des marchés financiers (AMF)

L’Autorité des marchés financiers (AMF), régule et contrôle le secteur des produits financiers et des  contrats financiers ainsi que la fourniture de services sur actifs numériques.

C. L’Autorité nationale des jeux (ANJ)

L’ANJ possède un pouvoir de surveillance et de contrôle auprès des opérateurs de jeux d’argent. Elle possède également un pouvoir de sanction.

Elle contrôle notamment que les plateformes en ligne permettent d’exclure les mineurs sous réserve notamment de l’obligation de faire figurer un message de mise en garde par les influenceurs.

D. L’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

L’ANSM a un pouvoir de surveillance des médicaments, de contrôle de la qualité des produits, d’inspection des produits et des pratiques notamment.

E. Les associations

Diverses associations telles que l’ANPAA notamment jouent un rôle de sensibilisation et d’action. L’association Addition France assure notamment le respect de la loi Evin en agissant en justice  contre l’exposition des mineurs aux publicités promouvant la consommation d’alcool.

 IV. Actualités

Il est important de noter que si la loi est entrée en vigueur, de nombreuses dispositions la concernant restent imprécises. Un décret pris en application de la présente loi viendra préciser l’application de la loi.

Par ailleurs, la loi va également être amenée à être modifiée par ordonnance. En effet, la Commission européenne a demandé à la France de modifier certaines dispositions de sa loi qui ne lui auraient pas été notifiées et qui contreviendraient aux dispositions prévues par le DSA (Digital Service Act).

Dans cette perspective, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole a été adopté par le Sénat le 21 décembre 2023. Ce projet de loi vise à permettre au Gouvernement de modifier par ordonnance les articles 1er, 4, 5 et 9 de la loi sur les influenceurs.

  • Même si l’essence de la loi va rester inchangée, il est nécessaire de suivre les avancées de la présente loi pour en connaitre les futures modifications.

Pauline VIGNERON

14.02.2024